الفران في تلمسان
Pour un certain nombre d’Algériens dont l’âge l’autorise, le détour par « El-Ferrane » (appelé four banal pour le distinguer, dans le jargon colonial, des autres fours à usage industriel ou artistique comme le four du potier) a rythmé le quotidien à un moment ou à un autre de leur vie.
Et cet espèce de nid chaud tapi au creux d’une ruelle, dont les murs noircis par la suie semblaient à peine tenir debout, duquel sortaient l’hiver des vagues de buées bleues ou grises, c’est un peu un symbole de leur enfance évanouie !
Le four banal fut un établissement à usage domestique qui a fait partie de l’environnement urbain de toutes les sociétés méditerranéennes, d’après Omar Dib.
Par contre, dans les campagnes Algériennes, les paysans disposaient généralement d’un four familial appelé « frina » .
Il faut signaler ici un fait curieux qui a caractérisé l’ancienne tradition des sociétés nomades où tous les métiers liés à l’usage du feu (comme le forgeron, le charbonnier, le bijoutier ou le mitron) ont subi un certain ostracisme de la part des populations d’alors.
Par exemple, il était fait obligation à tous ceux qui pratiquaient ces fonctions de quitter les lieux des campements à la tombée de la nuit.
Au contraire de ce qui vient d’être mentionné précédemment, et jusqu’au temps de sa disparition presque totale du paysage de l’Algérie et plus précisément à Tlemcen, vers la fin des années 70, le four banal (et on suppose le mitron ou « terrah ») constituait le socle de l’organisation structurelle traditionnelle de chacun de ses quartiers avec, bien sûr, le hammam, la mosquée, l’école et, parfois,
« El-Djemia El-Kheriya » (une association caritative propre à chaque quartier).
La plupart des fours banals étaient autrefois des biens habous dont les gains servaient à la gestion et à l’entretien de certaines mosquées.
A titre d’exemple, « El-ferrane de derb H’laoua était rattaché comme bien wakf à la mosquée Er-Rouya du quartier Harret Er-Rma », d’après Omar Dib.
Un ferrane peut être considéré comme un chef d’œuvre d’architecture pratique : on y accède par une petite entrée pentue qui donne sur une sorte de pièce rectangulaire.
A main droite, on trouve un comptoir en bois sur lequel sont alignées des dizaines (ou des centaines) de galettes rondes.
A main gauche, trônent de hautes piles de bois, généralement de sapin, de platane ou d’olivier, qui servent à entretenir la chaufferie du four.
Le « terrah » (le mitron) se tient debout dans une espèce de fosse et utilise de longues pelles, fabriquées en bois également, pour enfourner le pain.
Son visage est exposé au feu et son dos supporte toutes les infamies (wajhou l’ennar wa dahrou l’lâar).
Cette « menace » terrible (véhiculée par ce dicton populaire de Tlemcen) ne s’appliquera, bien sûr, que s’il a le malheur de roussir un tant soit peu le pain qui lui a été confié en toute confiance !
Avant « l’invention » du boulanger moderne, l’auto fabrication du pain familial était entourée d’un cérémonial savoureux et donnait lieu à une convivialité et à une entraide impensables de nos jours.
Ainsi, chaque famille marquait son pain avec un sceau (erchame) qui permettait au mitron de l’identifier par rapport à celui des voisins.
Il était également de coutume à Tlemcen que chaque mère de famille, de bon matin, mette ses galettes (toujours rondes et « tracées » à la main mieux qu’avec un compas) sur une planche à pain qu’elle posait ensuite sur le seuil de son logis, en espérant qu’un voisin serviable se chargeât de la porter au ferrane.
En plus du pain, le four banal était utilisé également pour la cuisson des gâteaux traditionnels (comme le « Kaâk », la « Ghribia » et la « Assara »), pour celle des cacahouètes, des graines de potiron et puis de quelques mets comme les rôtis.
Lors de la fête de Ennayer, on y cuisait pour les enfants de minuscules pains aux œufs
(« groussa ou grissa b wlajdad ») qui leur étaient offerts dans de petits couffins en osier remplis aussi de fruits secs, de dattes et de figues.
Parmi les fours banals les plus connus à Tlemcen et dont la plupart ont disparu aujourd’hui, on peut citer « ferrane el-abd », situé à derb Ouled El imam, « ferrane Sidi Zaïd », situé à derb El-Hadjamine.
Les fours banals sont aujourd’hui en passe de s’éteindre pour toujours.
Espaces au passé séculaire, plus connus ici sous la dénomination de ferrane, servant avant tout à la cuisson du pain traditionnel, ils sont à distinguer des fours à usage industriel.
Après avoir marqué l’histoire de la cité, ils disparaissent à présent l’un après l’autre.
Et il n’en reste que quatre confinés dans les vieux quartiers de R’hiba, Sidi Chaker et Derb Ouled El- Imam.
La disparition lente mais certaine de ces anciens établissements résulte de l’arrêt de leur activité principale qui consistait à cuire le pain « fait maison », source de la quasi-totalité de leurs revenus, le reste étant le fruit d’activités occasionnelles telle la cuisson de la pâtisserie traditionnelle destinée aux célébrations religieuses ou familiales.
Il en est ainsi du ferrane de R’hiba, un vieil îlot au centre de Tlemcen, qui ne survit aujourd’hui que parce qu’il ne refuse plus rien et son travail d’enfournement s’étend des cacahuètes à la « chamia », un gâteau de semoule destiné à la gargote du coin, en passant par les gâteaux de l’Aïd et même la viande.
Situé sur la place centrale du quartier, la bien nommée Tahtaha, ce four a pourtant rendu d’énormes services aux habitants qui, spontanément et sans peur, abandonnaient à ses soins leurs plus belles œuvres, surtout des pains aux multiples diamètres, dessins et qualités.
Peu à peu délaissé, il continue de fonctionner au bois pour les rares clients qui s’obstinent, envers et contre tout, à privilégier le bon pain cuit au four.
Modèle d’architecture pratique, le four banal est une salle rectangulaire où sont entreposés les galettes de pains ou autres produits à cuire, sur un côté, et de hautes piles de bois servant à entretenir la chaufferie du four proprement dit, sur l’autre.
Noircis par la fumée et par les marques du temps qui passe, ses murs restent pourtant agréablement caractéristiques de ces endroits autrefois si prisés pour les services qu’ils rendent pour « pas cher », mais aussi pour l’odeur de nourriture qu’ils dégageaient.
C’est aussi le lieu où se perpétuaient quelques pratiques sympathiques comme le fait que chaque famille marque son pain de son propre sceau (erchame) qui permettait au terrah de le distinguer des autres.
Ou encore cette coutume tlemcénienne qui faisait que des maîtresses de maison posaient, délicatement et en toute confiance, sur le pas de leurs portes des galettes de pain non cuites dans l’espoir qu’un voisin bienveillant se charge de les porter au ferrane.
Avec retour doré garanti.
Merci Samir B ..
Il était une fois El Ferrane à Tlemcen الفران في تلمسان
auteur:
Les joyaux de sherazade
Ingredients
- kesra
- kaak
- ghribia
3.5.3229